Il a fallu grimper à travers un pré envahi par les ronces pour enfin arriver à la grande maison. Quand on avait démêlé le barbelé qui tenait la vielle porte fermée, on a pu rentrer dans l’obscurité qui sentait noir comme la poix de la cheminée. Le plancher du plafond penchait. Des générations de vers avaient presque réussi à le transformer en poussière, les poutres comprises. Il y avait des trous dans les planches, on y voyait la pièce d’en haut, et oui, dans un coin il y avait un tas de papiers, qui commençait sa lente descente vers la cave. Nous sommes alors montés par ce petit escalier raide jusqu’à l’étage.

La grande pièce, avec comme seul crépis le noir des fumées de cheminée condensées, depuis je ne sais pas quand, était éclairée par une flèche de lumière qui rentrait entre deux volets battants de l’aile. Dans un coin s’élevait un grand vieux lit, le paillasson pourri tacheté par de l’eau qui avait trouvé son chemin à travers les ardoises. Et sous ce lit ce tas de vieux papiers qu’on commençait à ramasser pour regarder de plus près. Il y avait un paquet de lettres, ficelées, des bons de réquisition de la guerre 14/19 et quelques extraits des actes notariaux. On fouillait tous. Il y avait des noms. Alors ils s’appelaient Dubuc Alexia, Jean-Marie, ou Joseph, dit ‘Le Pourtérés’. Nous avons su plus tard, qu'ici chaque maison porte son nom. En parlant des gens, on les nommait d’après leur maison, parce qu’ils portaient souvent le même nom de famille et le même prénom, ce qui facilitait la succession. Comme ça pas besoin de refaire des actes à chaque génération….

Après deux générations d’abandon, la ferme et la maison semblaient implorer leurs "remise en état". Il ne fallait pas traîner. Nous avons mis tous les papiers et photos dans un carton. Nous verrons cela plus tard….

Et on a commencé…

Il y avait 22 hectares qui tardaient à être débarrassés de leur épais tapis de fougères et ronces. La maison devrait vite être remise en état pour nous abriter, nous et nos deux enfants.

Nous avons très vite acheté nos premiers animaux.

Par un bel après-midi, une vieille dame est montée nous rendre visite. Elle était retraitée de la Poste. Elle avait 75 ans et avait souvent passé ses vacances ici auprès de ses grand-parents. Elle avait grandi à Paris où sa mère l’avait confiée à quelqu’un, qui n’avait pas d’enfant. Sa mère est partie peu après en Amérique et s’y est mariée avec un chandelier. Sa tante lisait à haute voix les lettres qui arrivaient de temps en temps de là-bas et elle écrivait aussi les réponses étant la seule à savoir écrire. A cette époque, il fallait beaucoup travailler  et on gardait les garçons à la maison pour qu’ils se rendent utiles. C’était les filles, qui allaient à l’école ou au catéchisme.. . Son grand-père devenu aveugle, a fini ses jours dans un asile. Il n’y avait plus personne pour s'en occuper. Les guerres et la maladie avaient fauché pas mal de gens, et en plus, le vieux avait fait jurer aux garçons, de ne jamais se marier. Et à cette époque, on obéissait. Peu avant que son grand-père soit mort, un maquignon est venu lui faire tracer une croix en bas d’une feuille remplie d’écritures qu’il ne savait pas lire. C’est ainsi que la ferme est devenue la propriété de ce trafiquant. Le maquignon y mettait des animaux pour économiser les frais de l’estive… Ou pour cacher quelques bêtes, dont l’origine n’était pas toujours claire… Et ce maquignon avait, comme on dit, une poule qui aimait bien gratter. Surtout les sous des autres. Ainsi la ferme, déjà bien dégradée, a trouvé un nouveau propriétaire pour 5000 Francs ou 20 brebis, comme me l'ont affirmé les vieux. Comme le temps passe vite, un jour, pour pouvoir toucher sa retraite, la bonne femme a mis tout en vente dans une agence immobilière.

En suivant la 4L de cet agent sur une piste, qui ressemblait plus au lit raviné d’un ruisseau, nous sommes arrivés à la fin du carrossable. Faut continuer à pied. L’immobilier avait choisi le bon moment : tout baignait dans la lumière dorée d’avant le coucher de soleil. A côté de la maison, il y avait des vaches dans la gadoue jusqu’aux genoux . Au moins il devait y avoir de l’eau quelque part… Ma femme Doris et les enfants sont restés dans le pré en face de la maison, et moi, j’ai grimpé la côte. Plus je montais, plus c’était beau. Quand je suis enfin arrivé, tout essoufflé, en haut, je distinguais les hauts pics de la chaîne et les vallées boisées des alentours tachetées par les clairières des prés. Les forêts portaient leurs plus beaux manteaux d’ automne, et les crêtes étaient sur-poudrées par une première neige argentée…

Je suis tombé sous le charme de l’endroit, je me sentais heureux. Je suis tombé amoureux des lieux. Et en plus, j’ai trouvé des champignons, dans les fougères et la bruyère. Nous les avons mangé le soir dans notre petite caravane au camping de Luzenac.

Il a fallu commencer partout à la fois. Il n’y avait pas de route. On montait les matériaux par un treuil qui entraînait avec son câble de 300 m, un chariot guidé par une personne. Faut y arriver à faire démarrer la moto faucheuse, notre seule machine ,transformée en agrégat pour le treuil. Faut le tenir bien, le timon-guidon, et surtout ne pas renverser la charge… Quelques gens nous visitaient. On entend parler d’autres Allemands, qui sont installés dans d’autres vallées. Alors, nous ne sommes pas les seuls étrangers. Il y avait comme une vague. Des hippies, des néo-ruraux, comme on nous appelle.

Les premières vaches achetées à la foire de Saint-Girons. Le renard, qui bouffe les pintades. Les vaches, qui prennent les oies comme oreiller….les canards, qui descendent le ruisseaux pour se faire cueillir par des miséricordieux voisins… les chèvres, qui ont escaladés le Moussaou…la jument, qui s’étrangle…

25 ans d’apprentissage ont commencé. Tout était à faire et parfois à refaire. Petit à petit nous avons apprivoisé les terres sauvages. En les clôturant, les nettoyant et mettant du fumier. Au départ on voulait tout faire à la main. Nous avions que une moto faucheuse d’occasion et le cheval. Maintenant on a un parc de machines. Nous nous sommes aperçus que la vie simple est parfois très compliquée. Le temps se compte pas en heures. L’unité est l’année. C’est dans ce rythme, que tout se répète ou change.

Nous voulions vivre de la terre, des animaux, dans la nature. La nature nous a appris autrement. On peut vivre qu'avec la terre, qu'avec les animaux, qu'avec la nature... Il faut rentrer dans ce grand jeu, être participant et pas observateur. Les voisins d’en face, qui guettaient avec leurs jumelles tous nos mouvements, racontent au village, qu’on a transformé les terres. Mais en vérité c’est la terre, qui nous a changé, qui nous aide à devenir nous-même, à trouver notre place dans ce grand jeu cosmique. Nous avons commencé à faire du fromage . Quelqu’un nous a vendu ses vielles ruches. Nous avons monté une tournée dans les vallées pour vendre les produits du ‘Pourtérés’. Nous avons fait les marchés.

Le premier gîte a été construit dans une ruine derrière la ferme. Des gens sont venus partager la vie de paysan avec nous. Nous avons repris le travail là où nos prédécesseurs l’ont abandonné 45 ans plus tôt.

La troisième année, Lucie est née. La première naissance à Las Piassères depuis 60 ans. Éliane, la sage-femme, qui était le bon ange de beaucoup d’ enfants ‘neo’, est arrivée ici à pied, sa voiture étant bloquée par la neige.

Depuis, les enfants ont grandis et ont fait leur chemin.
Les petit-enfants sont arrivés.
’Le Pourtérés’ est devenu un lieu de rencontres. Rencontres avec les gens, rencontres aussi avec la nature.
Ceux, qui sont montés une fois ici, reviennent un jour.
Ici on est près de la source.
Ici on peut encore écouter le silence.

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